Répondre à la question : quel travail choisir ?

Quand en 2018 j’ai vu se profiler la fin de ma thèse, il était difficile de complètement assumer mon refus de poursuivre une carrière dans la recherche. D’un côté, j’allais bientôt avoir en main un doctorat, fruit d’une grande partie des 9 dernières années de ma vie, et je ne pouvais me résoudre à ce qu’il me soit totalement inutile pour le futur métier que je choisirais ; mais d’un autre côté, je ne me voyais pas défendre avec enthousiasme l’intérêt et la pertinence de mes futurs projets de recherche. Et je n’étais pas capable de faire ressortir un critère au-dessus de l’autre : le boulot « par défaut », employé McDo, l’opposé en terme d’auto-justification et d’utilisation de mon diplôme, m’attirait encore moins.

J’ai donc tenté de dresser une liste des autres caractéristiques qui me séduisaient ou me repoussaient dans les emplois que j’avais occupé et que j’imaginais pouvoir occuper. Avec ces critères en main, j’ai pu d’une part juger les emplois que je m’imaginais viser, et j’ai surtout pu éclaircir les points à propos desquels il me manquait trop de détails pour pouvoir juger. J’ai complété cette démarche en discutant avec des personnes dans ces divers emplois et avec un parcours similaire au mien, ce qui a rendu la décision finale beaucoup plus simple.

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Voici la liste des critères en question, avec quelques explications :

  • Le salaire : le plus évident, mais aussi le plus flexible. À la sortie de mes études j’avais réussi à garder un style de vie assez sobre pour pouvoir me contenter de peu.
  • Mon intérêt intrinsèque dans le fruit de mon travail : à quel point je suis content de l’effet que mon travail a sur le monde, de la différence entre un monde où mon travail est fait et un monde où mon travail n’est pas fait.
    Je pense qu’il est habituel de considérer qu’un travail doit permettre à la fois de gagner sa vie, et d’impacter le monde d’une manière qui nous plaît. C’est un but noble, mais dont il faut savoir se détacher : on peut tirer un bénéfice assez large d’un travail qui satisfait convenablement les autres critères de cette liste.
    Par contre j’aurais beaucoup de mal à faire un travail qui impacte le monde de manière significativement négative.
  • La possibilité de ne pas avoir à prétendre avoir un intérêt intrinsèque pour le fruit de mon travail : dans le cas où je n’ai pas d’intérêt intrinsèque comme décrit au-dessus, il est très important pour moi que je n’ai pas à faire semblant d’en avoir un.
    Au moment où mon travail de thèse a cessé de m’intéresser, mon rôle de doctorant impliquait toujours de devoir expliquer aux autres en quoi mon travail était intéressant, et ce fut pour moi une expérience assez désagréable que je souhaite vraiment éviter dans le futur.
  • L’intérêt intrinsèque d’autres (bonnes) personnes dans le fruit de mon travail : s’il est supportable d’avoir un travail dont le fruit n’a pour nous-mêmes pas (ou peu) de valeur, cela reste quand même difficile à vivre. Entre autres, les buts à atteindre dans mes taches peuvent sembler arbitraires ou vides de sens.
    Un point intermédiaire est d’avoir un travail qui consiste à aider d’autres personnes à atteindre des buts qui, sans être des buts que je partage, possèdent une certaine noblesse.
  • Mon intérêt pour les tâches à accomplir : les étapes qui permettent de passer de « mon travail n’est pas fait » à « mon travail est fait » sont stimulantes et intéressantes.
  • La nécessité d’une expertise (du contexte ou d’un outil) pour accomplir mon travail efficacement : je suis quelqu’un qui aime creuser, explorer les détails, et sentir que j’apporte à une équipe. Un travail qui repose sur une expertise apporte un peu de chaque.
  • La nécessité de travailler en équipe : sentir qu’on a pas tout à faire tout seul, que parfois on peut se reposer sans pour autant que tout s’arrête, etc. Assez simple.
  • La durée entre le lancement d’un dossier et sa complétion : en thèse, il s’écoule rarement moins d’un an entre le moment où on commence à plancher sur un problème particulier et le moment où on a terminé avec ce problème. Cela veut dire que le sentiment d’accomplissement est assez rare, et qu’on ne bénéficie presque jamais du boost de « allez, plus que quelques heures et c’est fini ».
    À l’inverse, si les dossiers se terminent trop rapidement, on peut avoir l’impression que les taches manquent de continuité et de grandeur, comme « à l’usine ».
  • Distance parcourue et à parcourir en terme de formation : plutôt simple, il s’agit d’évaluer la distance qui me sépare d’un profil qui aurait des bonnes chances d’être recruté, avec un bonus quand un bout du chemin a déjà été accompli.
  • La facilité pour obtenir la formation pour ce travail : l’investissement pour le travail choisi ne sera pas le même selon si la formation nécessaire est accessible en ligne librement (MOOCs), s’il faut faire des formations particulières, obtenir un diplôme, ou même recommencer un cursus universitaire.
  • La facilité pour trouver un poste une fois obtenue la formation : point primordial dans mon cas à la fin du doctorat, puisque trouver un poste de chercheur en mathématiques est un parcours du combattant qui n’aboutit que rarement.
  • La liberté de quitter un poste pour aller faire autre chose et revenir ensuite : on m’a dit que l’on pouvait rapidement sortir des « petits papiers » du monde de la recherche après une pause trop longue de l’activité de recherche. C’est un risque à prendre de se lancer dans une carrière qui doit être ininterrompue si l’on souhaite ne pas perdre l’atout « j’ai déjà travaillé dans le domaine ».

1 Comment

  1. segalavienne says:

    Je comprends bien, moi qui ai changé souvent de direction. Je voulais être prof de maths, j’ai fini en école d’ingénieur (École Centrale de Lyon) puis j’ai fait un peu de philo, bcp d’histoire, thèse en histoire des sciences, post-doc, poste de maître de conférences, puis diplomatie, philo, socio, retour à l’histoire et la philo des sciences puis histoire sociale…

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